Le salaire du bûcheron
En haut d’une piste de montagne, Nasreddin Hodja tirait son âne et soudain s’arrêta. La résonance d’une hache, la voix d’un homme et le tintement de clochettes d’âne lui dirent qu’il y avait de la compagnie, dans cet endroit solitaire. Bientôt il se heurta à un groupe de six ânes qui paissaient sur la lande verte. Sur les côtés étaient entassées des piles de bois coupé. Tout près, un homme musclé maniait une hache. Le bûcheron recula rapidement, alors qu’un arbre tombait.
– Bravo, brave bûcheron ! acclama un second homme maigrichon, assis non loin de là. C’était un bel arbre, assez grand pour réchauffer toute une famille une bonne partie de l’hiver. A l’arbre suivant !
Sans regarder son compagnon confortablement assis, le bûcheron marcha vers un chêne, prit fermement le manche de sa hache et commença à cogner au-dessus des racines de l’arbre. Nasreddin Hodja était assis sur son âne, observant ce spectacle étrange : l’homme fort maniant la hache sans dire un mot tandis que l’homme assis ne cessait d’approuver, d’acclamer et de commenter. C’en était trop pour la curiosité de Nasreddin Hodja.
— Pourquoi faites-vous tout ce bruit alors que c’est l’autre homme qui fait tout le travail ? demanda t-il au petit homme.
— Oh ! Je l’aide, répliqua l’homme. Il a consenti à couper trente années de bois pour Hassan Bey. Pensez quel travail pour un seul homme. Je me suis associé à lui. Il manie la hache pendant que je l’encourage.
– Je pense, dit Nasreddin, que ce sont les bras musclés du bûcheron qui lui donnent du courage et pas vos vociférations.
Une semaine plus tard, Nasreddin rencontra de nouveau les deux hommes alors qu’ils discutaient devant le juge.
— J’ai gagné chaque livre moi-même, disait le bûcheron. J’ai coupé trente charges de bois pour Hassan Bey. J’ai chargé le bois sur les ânes et les ai conduits à la maison de Hassan Bey.
— Il a oublié comment je l’ai encouragé, dit le petit homme. J’ai donc gagné une partie de cet argent que Hassan Bey a fait l’erreur de donner entièrement au bûcheron.
Le juge semblait impuissant à trancher, n’ayant jamais rencontré un cas similaire auparavant. Il fut soulagé de voir arriver Nasreddin Hodja.
—Je soumets ce cas à mon assistant Nasreddin Hodja, Effendi, dit le juge. Répétez-lui votre histoire.
Ce qu’ils firent.
Nasreddin Hodja a écouté, hochant la tête sagement, jusqu’à ce que les deux hommes n’aient plus rien à dire. Alors il a appelé un commerçant d’une boutique voisine.
– Apporte-moi un plateau, lui dit-il
Le plateau apporté, la foule s’approcha pour voir ce qui allait arriver.
— Donnez-moi l’argent que Hassan vous a payé pour les trente charges, dit-il au bûcheron.
— Mais c’est mon argent, plaida le bûcheron. J’ai travaillé dur pour chaque livre alors que cet homme était assis à l’ombre, en proférant des sons étranges.
Sur l’insistance de Nasreddin, à contrecœur, le bûcheron donna sa bourse. Nasreddin prit les pièces et une par une, les fit tinter sur le plateau. S’adressant à l’homme qui revendiquait sa part, il lui dit :
— Les entendez-vous ? Aimez-vous ce son ? N’est-ce pas un tintement joyeux ?
La dernière livre avait quitté la bourse du bûcheron et fit entendre son tintement sur le plateau.
— As-tu bien entendu ? dit Nasreddin au petit homme. As-tu entendu chaque livre ?
Le petit homme acquiesça de la tête.
— Alors tu as eu ton salaire, lui notifia Nasreddin. La sonorité de l’argent est la paie appropriée pour la sonorité du travail.
Nasreddin remit alors l’argent au bûcheron en lui disant :
— Et l’argent est la paie appropriée pour le travail.
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