La peau de l’ours
Le bruit du choc de la hache de Nasreddin Hodja résonnait dans la forêt. Le silence s’installa dès que Nasreddin s’arrêta pour se reposer. Soudain, Nasreddin sursauta et fut debout. Quel était ce craquement, sous les brindilles, non loin de ses pieds ? Ce n’était pas les pas d’un écureuil, d’un lapin ou d’un renard. Nasreddin observa attentivement l’endroit d’où venait le bruit. Le craquement devenait plus proche et plus fort. Il aperçut une fourrure noire qui se déplaçait, puis quatre pieds rigides se dodelinant maladroitement et venant vers lui, un nez noir luisant entre des yeux perçants ! Le plus grand ours que Nasreddin ait jamais vu de toute sa vie de bûcheron ! Nasreddin courut vers l’arbre le plus proche, un poirier sauvage, et il y grimpa tant bien que mal, encore plus prestement que quand il était enfant. Plus l’ours se rapprochait, plus il semblait grand. Il vint s’installer juste sous l’arbre où Nasreddin se cachait. L’ours bailla et s’étira. Il bailla de nouveau. Il s’étendit sur le sol, grogna et s’assoupit, fermant ses yeux.
— Ne me fais pas une telle blague, pensa Nasreddin., Tu feins de dormir mais tu attends juste que je descende pour te précipiter sur moi.
Nasreddin s’est accroché à la branche, ses yeux fixés sur l’ours. Il s’attendait à tout moment à ce que ce dernier lui saute dessus. Il voulut s’élever plus haut dans l’arbre, mais avait peur de faire du bruit et de donner ainsi l’alarme. Alors l’ours frémit et se détendit, puis respira bruyamment en émettant un ronflement sonore.
— Tu sembles endormi ! chuchota Nasreddin, pas du tout certain d’oser croire ce qu’il voyait.
Puis, à l’épouvante de Nasreddin, l’ours se dressa sur ses pattes de derrière et posa ses grandes griffes sur le tronc de l’arbre où Nasreddin était accroché. Il se mit à renifler voracement, jusqu’à ce qu’il trouve ce qu’il cherchait : une poire sauvage bien juteuse. Mangeant et montant, l’ours parvint presque en haut de l’arbre. Tremblotant de peur, Nasreddin atteignit la branche la plus haute qui pourrait probablement supporter son poids. Si seulement l’ours se contentait de ne pas aller plus haut ! Il reniflait chaque poire à sa portée et l’engloutissait jusqu’à ce que ses grandes lèvres soient tout près de la bouche de Nasreddin. Essayait-il de partager les poires avec lui ?
– Non, merci ! cria Nasreddin, essayant d’être poli. Même dans une telle situation, je ne m’intéresse pas aux poires, je n’en mange jamais, non, jamais !
Soudain, on entendit des cris perçants venant du branchage proche. Avec un hurlement terrifié, l’ours perdit l’équilibre et tomba à travers les branches. Il y eut un bruit sourd quand il atteignit le sol, puis le silence. Un silence qui était le bienvenu. Nasreddin passa le reste de la nuit à essayer de rejoindre lentement et progressivement le bas l’arbre. Après chaque mouvement, il attendait, pour être sûr que l’ours soit sans vie. Le matin, Nasreddin avait atteint la branche la plus basse du poirier. Il sauta maladroitement de cette branche. Il commença à se diriger, en boitant, vers sa maison, en pensant au petit déjeuner qui l’attendait et à l’histoire qu’il allait raconter. Cependant, plus il s’imaginait le véritable récit de sa nuit de tourment, plus il estimait qu’il n’y aurait aucune gloire à en tirer. Soudain un sourire apparut sur son visage fatigué. Il est revenu en courant vers le poirier, a sorti son couteau et dépecé l’ours. L’épaisse fourrure noire sur ses épaules, il marcha à grands pas, en chantant, vers Aksehir. Il n’entra pas en ville par la petite porte, plus proche de sa maison, mais contourna la muraille pour entrer par la porte principale, près de la place du marché, parcourant les rues animées, l’une après l’autre, jusqu’à ce que tout Aksehir sache que Nasreddin Hodja était un grand et courageux chasseur, qui avait tué, à mains nues, un énorme et féroce ours noir.
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