Nasreddin Hodja avait une très belle chèvre. Un jour, de mauvais plaisants lui firent cette proposition :
— Dans quelques heures ce sera la fin du monde. Que feras-tu de ta chèvre ? Pourquoi ne pas aller la faire rôtir à la campagne et profiter ainsi d’un bon repas ?
Nasreddin fit la sourde oreille. Ils revinrent à la charge, et cette fois, il se laissa convaincre.
Ils se rendirent tous dans un pré, ramassèrent du bois mort, puis la bande décida d’aller se baigner, laissant à Nasreddin le soin de la cuisson et la garde des vêtements.
Alors Nasreddin prit un à un les vêtements et les jeta au feu pour l’alimenter. Lorsque les autres revinrent, ils s’enquirent de leurs effets.
— Je les ai jeté au feu pour raviver la flamme, dit Hodja.
Ils se ruèrent sur lui en vitupérant. Mais sans se départir de son calme, il leur lança :
— Quelle importance cela a-t-il ? La fin du monde ne doit-elle pas arriver dans quelques heures ?
J’ai trouvé une deuxième version de la fin du monde, je vous la livre:
Un pique-nique pour la fin du monde
Portant son énorme turban jaune, son burnous blanc ouvert sur sa blouse rayée et un sarouel ample, Nasreddin Hodja se tenait debout contre le mur de briques, observant le nuage de poussière brune qui s’élevait de la route menant aux pâturages de la colline et surveillant son mouton.
— Quel beau mouton que voilà, Nasreddin Effendi, dit, d’un ton songeur, Oualid qui passait par-là. Qu’il est dodu et tendre, grâce à Dieu !
Nasreddin jeta un regard soupçonneux à Oualid, qui continuait à penser à haute voix :
— Il est bien dommage de perdre ce mouton quand la fin du monde est pour demain !
— La fin du monde ? s‘étonna Nasreddin
— Tu n’es pas au courant ? dit Oualid. Si nous faisions rôtir le mouton rapidement, il ne serait pas perdu quand la fin du monde viendra.
Ils marchèrent de concert et avaient maintenant atteint la porte de la maison de Nasreddin, quand ce dernier demanda :
— Pourquoi pensez-vous que la fin du monde est pour demain ?
— Pourquoi ? Vous n’avez donc pas entendu ? Chacun en parle.
Oualid interpella un groupe d’hommes qui étaient assis, prenant le soleil au seuil de la porte voisine et leur dit:
— Nasreddin Hodja n’a pas entendu dire que la fin du monde était proche. Il ne réalise pas combien il serait sage de sauver ce mouton dodu en le mangeant, tant que nous sommes en vie pour l’apprécier.
— Oh ! C’est la chose la plus sensée à faire, dirent-ils, en chœur.
Alors Nasreddin prit sa décision et leur donna rendez-vous pour le lendemain, près de la rivière, leur promettant le plus succulent des méchouis.
Le jour suivant était parfait pour un pique-nique au bord de la rivière. Les hommes invités par Nasreddin et beaucoup de leurs amis étaient là quand les premières volutes de fumée montèrent du feu où Nasreddin faisait rôtir le mouton et cuire une énorme marmite de pilaf avec des pistaches.
— Notre dernier jour au monde, se lamentait Nasreddin, essuyant des larmes dont on ne sait si elles étaient provoquées par la douleur ou par la fumée du feu de bois. Louange à Dieu pour ce jour chaud et ensoleillé. Si je n’étais occupé à rôtir ce mouton, j’irais faire une dernière baignade à la rivière.
— Quelle bonne idée ! dirent les convives. Nous allons nous baigner pendant que tu rôtiras la viande.
En peu de temps, leurs vêtements furent entassés près de Nasreddin et ils barbotèrent dans l’eau de la rivière. Ils ne pouvaient pas voir Nasreddin, mais ils pouvaient entendre le crépitement du feu et le son de sa voix :
— D’une minute à l’autre, ce sera la fin du monde.
Ayant mauvaise conscience, ils songèrent à lui dire que c’était une plaisanterie. Et alors ils pourraient en rire ensemble en mangeant le mouton. A l’odeur du mouton en train de rôtir s’ajoutait une autre odeur moins agréable, mais qu’ils ne pouvaient identifier. Ils sortirent de l’eau et regardèrent l’endroit où ils avaient déposé leurs vêtements. Ces derniers étaient dans le feu en train de brûler. Nasreddin sourit et dit :
— Oh ! Vos vêtements ? J’ai réalisé que, avec la fin du monde qui ne devrait pas tarder, vous n’en auriez plus jamais besoin.