Nasreddin Hodja revenait du moulin, les sacoches de ses ânes pleines de froment fraîchement moulu.
— Je leur montrerai, se disait-il, en riant sous cape. Ils n’ont pas arrêté de m’abreuver de conseils sur les soins à prendre de leurs ânes et de leur blé. Comme si je ne connaissais pas sur les ânes plus que n importe qui à Aksehir !
Il suivait le ruisseau qui parcourait la vallée partant du moulin. Arrivé au sommet de la colline avant d’arriver à Aksehir, où les propriétaires attendaient leurs neuf ânes, il se mit à les compter. Surpris, il n’en trouva que huit. Sautant de son âne, il chercha partout, mais aucun âne manquant n était visible à l’horizon. Il compta de nouveau et en trouva, cette fois-ci, neuf. Enfourchant son âne, il repartit et compta de nouveau ses ânes :
— Un, deux, trois …
Jusqu’à huit. Pas de neuvième âne en vue! Il chercha derrière tous les arbres, derrière les rochers, pas l’ombre d’un âne. De nouveau il compta, debout près de ses ânes. Il y en avait neuf. Perdait-il ses esprits ou bien ses ânes étaient-ils ensorcelés ? Ou alors était-ce l’alcool qu’il avait ingurgité qui lui jouait des tours ?
Il fut heureux de rencontrer un ami sur sa route.
— Oh Ahmed Effendi ! Avez-vous vu un de mes ânes ? Je l’ai perdu et puis je ne l’ai pas perdu.
— Que voulez-vous dire Nasreddin Hodja ? demanda Ahmed.
— J’ai quitté le moulin avec neuf ânes, expliqua Nasreddin. Sur une partie de mon chemin il y en avait effectivement neuf et sur une autre partie il n y en avait plus que huit ! Mustapha était accoutumé au comportement étrange de Nasreddin, mais il fut surpris. Il compta alors les ânes et en trouva neuf.
— Montrez-moi comment vous avez compté vos ânes, dit-il à Nasreddin.
— Un, deux, trois…commença ce dernier, comptant jusqu à huit.
S’arrêtant à ce dernier nombre, il regarda son ami impuissant et terrifié, ce qui amusa Ahmed et le fit rire aux éclats.
— Qu’y a t-il donc de risible ? demanda Nasreddin.
— Oh! Hodja! Quand vous comptez vos ânes, pourquoi ne comptez-vous pas celui sur lequel vous êtes assis ?